Old school dans l'air du temps

Marguerite

Va savoir comment les choses arrivent.
Il était 8 heures ce soir-là quand ma voisine du des

sous est venue me chercher.
"Ma cuisine est inondée, je ne sais pas ce qui se passe."
Manifestement affolée la petite dame, une veuve de 80 ans, en robe de chambre et mules à pompons.
Moi, vous me connaissez, j'allais sûrement pas la laisser dans l'embarras.
Je descends derrière elle et j'entre à sa suite dans son appartement, un capharnaüm remarquable...
En fait d'inondation, c'était pas grand chose, et quand j'ai eu revissé l'écrou du siphon de l'évier, épongé à la serpillère, la catastrophe était réparée.
Elle m'a proposé un petit verre de Banyuls, et j'ai dit oui.
Dans le salon, le bordel atteignait un niveau maximum, mais ça restait sympathique, presque poétique.
Des bouquins partout, quelques cendriers pleins, 2 ou 3 tasses qui portaient la trace séchée du thé ou du café qu'on y avait bu, des coussins hors d'âge ici et là, un cadre avec la photo noir et blanc de 2 mariés figés dans leurs habits de fête, et un grand canapé de velours qui avait été rouge et dans lequel je me suis posé, en me demandant instantanément comment j'allais faire pour m'en extraire.
C'est de cette position basse que j'ai découvert le piano.
Et les fleurs.
Il y avait un piano dans le salon, et je l'avais loupé, enseveli qu'il était sous les journaux, les revues et les livres.
Un piano et un vase de marguerites, posé dessus... 
Toutes fraîches les marguerites, toutes neuves.
Le banyuls était bon, servi pile poil à la bonne température.
On a causé.
On a échangé sur la musique et sur les livres.
Ma voisine s'appelle Marguerite, comme mon arrière grand-mère.
Elle aime Satie et Fauré, elle a joué du piano, elle adore les polars, surtout les polars nordiques qu'elle dévore en fumant des cigarettes turques à bout doré.
Ma voisine a 80 ans, et c'est ma copine.